Peut-on attacher un prix aux soins? Les personnes préposées aux soins au Nouveau‑Brunswick sont depuis trop longtemps les parents pauvres.
En effet, les plus de 12 000 travailleuses qui offrent soins et services aux personnes âgées, aux personnes vivant avec un handicap, aux enfants et aux femmes fuyant la violence occupent l’un des postes les plus sollicités dans la province, mais les moins bien rémunérés. Ce travail essentiel repose démesurément sur les épaules des femmes, surtout celles qui sont traditionnellement opprimées et marginalisées davantage par le système. Si le travail non rémunéré à la maison constitue le gros des soins, les emplois dans le secteur des soins au Nouveau‑Brunswick sont parallèlement sous-évalués et sous-payés.
Durant la pandémie, la prestation de soins a soudainement été considérée comme un service précieux, voire essentiel, mais pas suffisamment pour que le personnel soit rémunéré à un niveau équivalent à un poste de valeur comparable surtout occupé par des hommes. Le gouvernement provincial a bel et bien reconnu ce fait quand il a accordé des primes temporaires au personnel du secteur. Mais la pandémie n’a pas causé cette crise, qui, faute de mesures efficaces, se prolongera et s’aggravera sans doute.
Si le salaire des travailleuses dans le secteur était équitable, tout le monde y gagnerait directement ou indirectement : les travailleuses, leur employeur, les personnes recevant les soins, leur famille et l’économie dans son ensemble. Dans son budget 2022-2023, le gouvernement provincial doit montrer qu’il valorise soins en valorisant sa main d’œuvre.
La valorisation du travail des femmes
Le personnel dans le secteur des soins n’est pas reconnu à sa juste valeur et il est nettement sous-payées. Preuve à l’appui? Les évaluations d’emploi réalisées par la Coalition depuis deux ans ont révélé qu’un salaire équitable pour les postes évalués dans six services de soins se situe entre 22,44 $ et 25,91 $ l’heure. Le salaire horaire actuel, qui va de 13,55 $ à 16,80 $, ne reflète donc aucunement la valeur du travail que font surtout ces femmes quand on le compare à celui d’emplois de valeur comparable à prédominance masculine.
Cet écart a non seulement des répercussions sur les finances du personnel; il reflète également le peu de valeur qu’on lui accorde. La situation ne motive malheureusement pas les personnes salariées à rester dans le secteur.
Les personnes préposées aux soins elles-mêmes nous l’ont dit. Elles sont épuisées et ne se sentent valorisées ni par la société ni par le gouvernement pour le travail essentiel qu’elles font. Et qui plus est, elles pensent sérieusement à changer de domaine. Si le gouvernement ne fait rien, nous serons bientôt témoins d’un exode, ce qui affaiblira un secteur qui se démène déjà pour assurer le nombre minimal d’heures de soins à donner à ses résidants.
La prestation de soins est un métier spécialisé et gratifiant. Demandez-le à n’importe quelle aide de soutien à domicile ou prestataire de soins directs : elle vous dira combien elle aime son travail et les personnes dont elle s’occupe. La plupart des personnes préposées aux soins sont prêtes à assumer à court terme le coût sur le plan personnel, mais elles ont leur limite. La gratitude seule ne suffit pas. Leur salaire doit refléter la valeur de leur travail.
Les conditions de travail
À un moment où la population vieillit et les besoins augmentent, le recrutement et la rétention du personnel sont plus difficiles que jamais. Les faibles salaires et les mauvaises conditions de travail n’ont rien pour inciter une personne à faire carrière dans le secteur. Sans une augmentation des salaires et l’amélioration des conditions de travail, les campagnes de recrutement pour encourager les jeunes à étudier dans le domaine et y faire carrière sont vouées à l’échec.
Qui voudrait commencer une carrière dans un domaine exigeant sachant que le travail sera probablement toujours mal rémunéré?
Faute d’investissements ciblés du gouvernement, le recrutement et la rétention du personnel dans le secteur des soins s’avéreront de plus en plus difficiles, et les familles ne pourront plus obtenir les soins dont ils ont besoin. Et la crise n’est pas passée : la proportion des 65 ans et plus s’accroît, les besoins en soins de longue durée augmentent et le nombre d’emplois dans le secteur privé continue de grimper – tout comme les problèmes de recrutement et de rétention du personnel.
Qui prendra soin de nous dans nos vieux jours? Les soins que reçoivent aujourd’hui les membres de notre famille sont-ils adéquats?
L’économie des soins
Nous reconnaissons les efforts qu’a faits le gouvernement ces dernières années pour améliorer les services de soins. Notamment la prise en charge des droits de scolarité pour les préposés aux services de soutien à la personne et les conseillers en intégration communautaire, une indemnité kilométrique ponctuelle et l’investissement de 27,4 millions de dollars pour le financement des établissements résidentiel.
Si le gouvernement souhaite tirer profit de ces investissements, il doit également continuer d’augmenter les salaires dans le secteur. Par les années passées, ce gouvernement et le précédent ont investi annuellement dans les salaires, mais trop peu et de façon irrégulière. En réponse à l’escalade de la crise au plus fort de la pandémie, le gouvernement actuel a aussi accordé un complément salarial provisoire, ce qui atteste la stagnation prolongée des salaires et le besoin d’un investissement encore plus important pour remédier à la situation.
Le gouvernement doit s’engager à planifier à long terme pour résoudre les problèmes de longue date. Il doit préparer et mettre en œuvre un plan quinquennal pour atteindre l’équité salariale dans l’ensemble du secteur des soins, en commençant par prévoir d’importants investissements à cet effet dans le budget 2022-2023.
La crise n’est pas derrière nous, loin de là. Plus le gouvernement attendra, plus les écarts se creuseront, plus il sera coûteux de les corriger, et ce, en dollars et en vies.
Le temps est venu de prendre soin de notre personnel de soins.
Krysta Cowling
Présidente de la Coalition pour l’équité salariale du Nouveau-Brunswick